Dans le cadre de son aventure Notre Univers au crochet, Karine (La rose du rang) nous fait découvrir les membres du Collectif Francrochet… sous toutes leurs mailles !
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Jessica, peux tu nous parler un peu de ton parcours et de ce qui t’a mené à faire l’élevage d’alpaga? (C’est le moment de nous parler un peu de bébé Jessica et de comment tu en es venue à avoir une passion pour les alpagas!)
Tout a commencé pour moi par une simple photo d’alpaga que j’ai vue passer sur Facebook en 2013. J’en ai tout de suite voulu un. J’ai eu beaucoup de difficulté à m’informer sur ce superbe animal qui n’était pas encore très connu. Il n’y avait pas encore beaucoup d’éleveurs qui voulaient en parler. Après un an de recherches sur internet, principalement sur des sites de la France où je trouvais enfin les réponses à mes questions, j’ai eu de la chance : le 4 octobre 2014 j’ai fait l’acquisition de 3 femelles et 1 mâle (Ferby, White Sugar, Lucy et Hoti). White Sugar nous à donné notre premier cria (le bébé de l’alpaga) l’année suivante et encore aujourd’hui nous avons Lucy avec nous. Je suis littéralement tombée amoureuse de cet animal doux et curieux.
Je tricotais déjà quand j’ai eu mes premiers alpagas, mais j’étais très débutante. Je ne connaissais rien des différentes étape de la transformation de la fibre. J’ai appris à la dure parce qu’encore là je n’étais pas capable d’avoir les réponses à mes questions. La première année de tonte, j’ai presque tout perdu ma fibre parce que je ne l’avais pas triée de la bonne façon. L’année suivante, m’étant procuré une bonne cardeuse et un bon rouet, j’ai enfin pris de l’expérience dans le tri de ma fibre et j’ai eu une très bonne production.
C’est vraiment en 2016 que j’ai commencé à faire des marchés et à transformer vraiment ma fibre. Dès le début, j’ai décidé de garder toute ma fibre aux couleurs naturelles des animaux, donc sans teinture, même si ce n’était pas la tendance.
Lorsqu’on regarde les fibres produites par ton entreprise, on remarque justement la richesse et la diversité des couleurs naturelles, qu’est-ce qui vous a poussé à faire le choix de mettre de l’avant les fibres avec leurs couleurs naturelles?
En effet, toutes mes fibres sont aux couleurs naturelles des animaux. Au début, je me suis informée sur les différentes étape de la teinture de la fibre, mais pour ma part je trouvais que c’était du gâchis de mettre autant de produits chimiques sur une fibre naturelle. En plus, pour pouvoir teindre la fibre je devais faire le choix d’avoir des animaux blancs, la couleur qui se teint le mieux. Mais j’aimais vraiment beaucoup avoir des alpagas de toutes les couleurs dans ma cour.
Lorsque j’allais chez les éleveurs pour acheter des animaux ce n’étaient pas les blancs qui m’attiraient le plus, mais bien les bruns, les baie-blacks, les beiges, les crèmes et les noirs. J’adore ces couleurs chaudes qui ont tant à offrir.
Il y a aussi l’aspect des allergies qui entra en ligne de compte, puisque la fibre d’alpagas ne cause aucune allergie mais que les gens peuvent être allergiques à la teinture. J’ai donc pris la décision de vendre moins, mais de rester moi-même. L’alpaga à quand même 22 teintes de couleurs naturelles donc il y a du choix.
Si je ne me trompe pas, le côté design de Ranch H et J est venu après la production de fibre, pourrais-tu nous expliquer ce qui t’a poussée à jeter ton chapeau (en alpaga!) dans l’arène?
Oui en effet c’est venu plus tard. Les patrons que je trouvais n’étaient pas vraiment adaptés à la fibre naturelle, je devais toujours faire quelques changements pour que ça fonctionne. J’ai donc pris très vite l’habitude de tricoter ou crocheter sans patron. Mais dans les marchés, très souvent les gens me demandaient le patron pour pourvoir le faire eux-mêmes. Je me suis donc essayée et j’ai bien aimé l’expérience. Mes patrons ne se vendent pas très bien, mais je suis contente de les avoir écrits. J’écris les patrons d’abord et avant tout pour moi et si ensuite les gens les aiment, tant mieux. J’essaie de créer des patrons qui ne sont pas trop longs et qui ne prennent pas trop de fibre puisque la fibre naturelle a un prix un peu plus élevé.
J’aimerais amener les gens à penser à la fibre naturelle plus souvent, mais surtout à penser à se procurer de la fibre d’ici. J’essaie aussi de faire en sorte que les designers et les teinturières du Québec pensent à collaborer avec nos producteurs de fibres.
Il existe encore des préjugés envers les fibres naturelles, mais le plus tenace est que c’est plus difficile à entretenir… Est-ce que c’est vraiment si difficile à entretenir de l’alpaga?
Ce préjugé vient surtout du fait que les gens veulent aller vite, ils ne veulent pas « prendre le temps de prendre le temps » comme je dis souvent. Les laveuses ne sont pas conçues pour conserver nos vêtements longtemps, elles sont conçues pour sauver du temps. En tant que société, on a aussi pris l’habitude que lorsque ce n’est plus bon, on jette et on rachète. Mais la fibre naturelle est une fibre qui reste vivante et donc qui réagit même lorsque transformée. La fibre d’alpaga, on doit simplement la laver à l’eau froide, dans le lavabo, avec un savon doux. On laisse tremper un petit 5 minutes, on rince et on éponge dans une serviette. On étend le tout à plat et on laisse sécher. Ce n’est vraiment pas si long. Ce n’est pas autant d’entretien que l’on pense et ça se conserve tellement plus longtemps!
Je vous donne des exemples :
J’ai les mêmes petits gants en alpaga depuis 4 ans et ils commencent à peine à avoir un petit trou dans un doigt – petit trou qui est facilement réparable. Ma mère a deux chandails en alpaga depuis 3 ans et ils sont toujours en parfait état. J’ai la même tuque et le même foulard depuis 3 ans et ils sont encore bons. Je porte les mêmes bas en alpaga depuis 4 ans déjà et ils ne sont pas encore troués. Qui peut en dire autant avec des vêtements que l’on met dans la laveuse?
Les gens me disent aussi que les produits sont dispendieux pour des choses qui ne feront plus à l’enfant l’année suivante.
Mais rien n’empêche de détricoter le morceau pour en refaire un autre d’une autre grandeur en ajoutant de la fibre! Non seulement c’est zéro déchet, mais en plus vous revalorisez un morceau qui ne fait plus. Nos grands-mères le faisaientt à tous les ans avec les courtepointes et les tapis qu’elles confectionnaient à partir de vieux vêtements, alors pourquoi on ne le ferait pas avec nos tricots rendus trop petits, troués ou qu’on n’aime plus?
Est-ce que tu pourrais nous décrire le processus qui mène de l’alpaga à l’écheveau en tablette ou sur Etsy?
Ce qu’il faut savoir avant tout c’est que l’alpaga doit obligatoirement être tondu une fois par année, avant tout pour sa santé et sa longévité, mais aussi pour sa qualité de vie. Si on n’élevait pas les alpagas, ils n’existeraient pas. Il n’y a aucun troupeau d’alpaga sauvage dans le monde. Donc tous les éleveurs d’alpagas aident à la conservation de ce superbe animal. C’est la même chose pour les autres animaux à fibre: moutons, chèvres angora, lapins angora, etc. Lors de la tonte, on fait un premier tri de la fibre qu’on sépare en trois parties de qualités différentes.
Chaque animal a son propre lot de fibre. Une fois la tonte terminée, c’est le temps de travailler la fibre. Il faut reprendre tous nos lots de fibre, les nettoyer à sec et les trier une seconde fois, de façon plus minutieuse. Une fois nos lots séparés, il faut les laver au savon et à l’eau chaude. Attention ici pour ne pas feutrer la fibre, ce qui m’est arrivé plusieurs fois à mes débuts! Une fois lavée, il faut bien séparer la fibre et l’étendre sur une grille pour la laisser sécher. Ensuite vient le temps du cardage. À cette étape, on peut faire des mélanges de couleurs et de fibres très intéressants. Quand la fibre est cardée, elle est sous forme de « nappes ». On peut décider de travailler directement à partir de ces nappes, soit pour les feutrer ou pour les filer, mais on peut aussi décider de les peigner avant de les transformer. Si on décide de les peigner, c’est une étape de plus oui, mais aussi beaucoup de temps de plus!
À l’étape du feutrage, on peut aussi faire des mélanges très intéressants. Quand on réalise chaque étape à la main, on peut facilement parler d’un travail de 30h à 50h par animal pour la transformation de leur fibre. Comme ma fibre est aux couleurs naturelles des animaux, chaque animal a son propre lot de fibre.
Pour gagner un peu de temps, on peut aussi choisir l’option de la filature. Dans ce cas, on ne fait que les étapes du tri et du nettoyage de la fibre à sec. On envoie ensuite le tout à la filature qui s’occupe de la laver, sécher, carder et filer à la machine (et non au rouet).
Les écheveaux de notre entreprise sont tous de poids différent parce qu’ils n’ont aucun nœud. On pourrait choisir de reprendre chaque écheveau et d’en uniformiser le poids en enlevant le surplus ou en rajoutant de la fibre, mais pour ce faire nous devrions faire des nœuds dans les écheveaux et nous aurions beaucoup de perte de fibre. J’ai donc pris la décision de les laisser à des poids différents.
Ta réalisation « fibreuse » qui te rend la plus fière ce serait quoi?
Mon patron préféré est celui du trio d’alpagas, ce fut un patron très difficile à réaliser dû surtout au fait que j’ai dû dessiner les alpagas puisque je ne trouvait pas d’image qui « fittait » avec ce que j’avais en tête. Comme je ne suis pas bonne en dessin, j’ai eu quelques problèmes lors de la réalisation… mais je crois que ça en valait la peine! Comme c’est un patron qui prend plus de fibre, j’ai beaucoup hésité à le réaliser. Comme je fais les patrons d’abord et avant tout pour moi, qu’ils se vendent ou pas, je l’ai écrit.
L’année est à peine commencée, mais pourrais-tu nous parler de ce qui s’en vient en 2021 pour le Ranch H & J?
J’ai entamé quelques projets en 2020 que je veux développer cette année. J’ai commencé un élevage de lapins angora pour pouvoir offrir un mélange d’alpaga et angora, toujours aux couleurs naturelles des animaux. Ensuite, je suis dépositaire pour les produits de feutrage d’Ashford, un volet que je voudrais développer un peu plus cette année puisque le feutrage n’est pas encore très connu. J’espère pouvoir reprendre les nombreux ateliers que je donne sur la transformation de la fibre et que j’ai dû arrêter en 2020. Je voudrais aussi concevoir une collection de produits tissés à la ferme; pour l’instant nos produits tissés proviennent d’un groupe d’artisans du Pérou.
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